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« Il n’y a pas de majorité « hindoue » en Inde »

            Le système des castes était conçu comme une forme d’apartheid racialisé et ritualisé pour assurer l’hégémonie des envahisseurs védiques aryaphones * et de leurs descendants sur la majorité des habitants du sous-continent.

            Dans cet ordre social millénaire, les basses castes et les intouchables n’avaient pas le droit d’apprendre les Véda. Ils étaient exclus de toutes les activités sociales et collectives , ainsi que des lieux de culte comme les temples et se voyaient refuser l’accès aux ressources, telles que la terre, l’eau potable et les routes. De plus, ils étaient confinés aux métiers héréditaires de leur caste. Les castes supérieures pouvaient ainsi exploiter le travail de ceux-là mêmes qui étaient exclus de la vie collective.

            Prétendre que cette idéologie raciste est la religion de ceux qu’elle a opprimés est une mauvaise plaisanterie : cela revient à dire que l’esclavage américain était une pratique religieuse consensuelle !...L’organisation féodale du pouvoir qui avait garanti la suprématie des hautes classes a été bouleversée par les réformes coloniales : éducation moderne, modèles d’emploi non traditionnels , lois contre la discrimination des castes et, à partir du XXe siècle, une autonomie croissante fondée sur la représentation proportionnelle. ..

            Partout, en Inde, les basses castes ont alors commencé à contester leur oppression, à critiquer les textes religieux des hautes castes et à se mobiliser en masse. C’est à partir de ce moment-là, vers 1911, que les hautes castes ont craint de perdre leur position dominante et jugé nécessaire d’inventer une majorité factice qu’ils pourraient représenter et diriger. La « majorité hindoue » est donc un canular, leur permettant de proclamer une catégorie religieuse qui incluait les basses classes, tout en maintenant la ségrégation et l’exploitation de ces dernières…

            L’hindouisme n’est pas une invention coloniale, il est plutôt issu des hautes castes manipulant les techniques coloniales, telles que le recensement.

            Gandhi a défendu le système des castes. Il l’a érigé comme étant le génie indien, la force d’âme et la source de la non-violence. Il faisait valoir que l’hindouisme n’avait aucun sens sans le système des castes. Sa non-violence exigeait l’interdiction des mariages mixtes et des repas mixtes, qu’il jugeait comme les forces maléfiques du métissage et de la modernité ...

              En Inde, les pogroms contre les « dalits » -les anciens intouchables-, les musulmans, les chrétiens, les sikhs se sont régulièrement produits avec le consentement tacite de l’Etat, même avant 2014. Ce phénomène s’est désormais intensifié. Les nationalistes hindous s’opposent aux conversions non par concurrence religieuse ou par haine des monothéismes, mais parce que, depuis le XIXe siècle, les castes inférieures et les tribus se sont converties à l’islam ou au christianisme pour échapper à l’oppression ou à l’humiliation des castes.

            L’ordre des castes est une réserve millénaire de richesse et de prestige pour les hautes castes qui ne peut pas être inversé par quelques années de discrimination positive. Les castes supérieures (moins de 10% de la population indienne) occupent 90% des postes dans le monde universitaire, les médias, le système judiciaire. Nos centres urbains sont des cartes héritées de ces inégalités, de la pauvreté et de l’humiliation. On reproche à l’occidentalisation d’éloigner les indiens de la tradition, par exemple quand de jeunes amoureux transgressent les barrières traditionnelles de castes. Ils s’exposent alors aux pires dangers : des couples mixtes sont régulièrement tués pour protéger la pureté des castes. L’ordre des castes est son propre moyen et sa propre fin. L’Inde attend toujours une révolution sociale, après laquelle on pourrait dire qu’il s’agit d’un pays indépendant, peuplé de gens libres.

                     

  * Les Veda ont été composés entre 1500 et 500 av. J .C. par un peuple qui, après avoir migré depuis les steppes eurasiatiques, a envahi le sous-continent. Ils se sont nommés « Aryens » et ont appelé leur langue « arya » (liée au sanskrit classique). Leur religion peut être nommée à juste titre « védique ». Ces textes révèlent déjà la hiérarchie imposée à la population de cette époque, considérée comme des serviteurs, des esclaves et des démons.

JF Caperan février 2022

(D’après une interview de la philosophe indienne Divya DWIVEDI, paru dans le Monde du 14 février 2022)

           

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