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Moussa Konaté (écrivain)  octobre 2013

En moins de deux ans, de mars 2012 à août 2013, de bien curieuse façon, le Mali a affiché aux yeux du reste du monde deux visages différents. Peu après le coup d’Etat qui a renversé le pouvoir d’Amadou Toumani Touré, des hordes de djihadistes, une fois l’armée nationale ayant détalé, ont occupé les deux tiers du pays et y ont imposé la charia. De fait, le Mali s’est donc trouvé divisé en deux pays. La facilité et la rapidité avec lesquelles les islamistes ont conquis l’essentiel du territoire et l’inaction des autorités tant politiques que militaires a dévoilé une face du pays. Réputé auparavant comme un modèle de démocratie en Afrique, le Mali s’est révélé un pays sans Etat et sans armée,   parce que miné par la corruption et l’impunité pratiquement légalisées.

 S’étant rendu compte que l’objectif des djihadistes était la conquête de tout le territoire et sachant qu’elles étaient incapables de leur opposer la moindre résistance, les autorités de la transition ont imploré le secours de la France, l’ancienne puissance coloniale, dont les troupes ont réussi à chasser les envahisseurs. S’impose alors une vérité qu’il ne serait pas honnête de nier : sans l’intervention française, le Mali serait aujourd’hui une république islamiste.

Le second visage est apparu lorsque,sous la pression internationale, une élection présidentielle a été organisée pour instituer un pouvoir constitutionnel. Jamais il n’y a eu, lors des scrutins précédents, autant de votants désireux d’imposer leur choix. Le président élu, Ibrahim Boubacar Keita a plutôt été plébiscité par près de 80% des électeurs à l’issue d’un scrutin dont la régularité a été confirmée par les observateurs internationaux.

 La question est de savoir comment en l’espace de moins de deux ans, les Maliens ont réussi à décevoir le reste du monde, puis à le surprendre. En vérité, il ne s’agit pas d’une métamorphose soudaine. En effet, sans la présence des observateurs et des forces de sécurité étrangers, un Etat inexistant ne serait jamais parvenu à organiser une élection démocratique pour la simple raison que le pays était, depuis des décennies, dirigé par une mafia qui, si elle avait eu les mains libres, n’aurait jamais accepté de perdre le pouvoir et aurait organisé un semblant d’élection. Fiers de leur histoire et d’être descendants d’empereurs et de rois célèbres, les Maliens vivaient coupés du réel, dans l’illusion d’avoir conservé la grandeur de leurs ancêtres. L’occupation du nord de leur pays, l’obligation de solliciter le secours de la France et l’humiliation de tels gestes ont été un choc salutaire pour un peuple vivant dans une grande illusion. Il faut se souvenir que la devise traditionnelle de ce peuple est : « La mort plutôt que la honte ». Ainsi, l’affluence au vote s’explique par le désir des Maliens de ne plus retomber dans la honte et de se doter d’un président à qui ils peuvent faire confiance pour les conduire sur le chemin de la dignité retrouvée

 Le nouveau président, Ibrahim Boubacar Keita, a devant lui une tâche ardue, car un échec de sa part risquerait de plonger le pays dans une nouvelle catastrophe. Restructurer une société disloquée, rétablir l’Etat, relever une économie en ruine, rude tâche pour un mandat de cinq ans. En tout cas, si le nouveau président ne combat pas sans concession la corruption et l’impunité, il lui sera impossible de mener sa tâche à bien. C’est dire qu’il va devoir faire face à une mafia rejetée par le peuple malien, mais qui n’a pas dit son dernier mot. Toutefois, comme l’homme est réputé pour sa droiture et son intransigeance, il est permis d’espérer.

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